r l’influence de l’utilisation d’anciens fûts de vins mutés sur le rhum et sa concentration en sucre.
une ambiguïté assumée
Pour reprendre la présentation du rhum publiée il y a quelques semaines sur le site Rumporter : « Produit à la distillerie San José, Pacto Navio est un assemblage de 10 rhums faits à partir de mélasses de cannes à sucre cubaines qui subit ensuite une finition partielle en fûts de Sauternes. «Pacto Navio est 100 % vieilli avec les exigences et le climat de Cuba ». Un vieillissement qui confère au rhum douceur et rondeur grâce aux traces de vin moelleux français. »
Au-delà de la présentation du nouveau produit et de son origine, il est fait référence dans le dossier de présentation de Pernod-Ricard d’un second vieillissement en fûts de Sauternes français. Nous connaissons l’usage des anciens fûts de vins mutés très répandu, et plus ou moins vendeur selon leur origine, le temps d’affinage, etc… Pernod Ricard répond ainsi à une demande à la mode, et nous apprend dans les toutes premières pages de son dossier de présentation que le rhum est « sans ajout de sucres ». Plutôt rassurant pour un début:
Rapidement pourtant, la marque joue sur une image de « rhum moins sucrés que la concurrence » ; étonnant quand on lit sur leur dossier de présentation que le rhum est « sans ajout de sucres ». Pourtant, voici la page que nous trouvons un peu plus loin, et toujours dans le même dossier :
Notez la différence de terminologie entre « sans ajout de sucres » et « concentration en sucre », nous y reviendrons plus tard.
Mieux encore, certains commerciaux fondent un argumentaire supplémentaire sur la transparence en utilisant lors de salons ou présentations du produit un tableau comparatif de différents rhums avec taux de sucre, de vanilline et de glycérine (note : ce tableau viendrait d’ailleurs du site durhum.com et de l’article « la dérive du rhum », mais sans que nous le sachions). Une très bonne chose pour le partage de l’information et même l’éducation du consommateur, mais un dialogue qui prête tout de même à confusion : d’un côté nous lisons que le rhum ne contient aucun ajout de sucres, et de l’autre qu’il a une concentration en sucre moindre que certains rhums concurrents. Que faut-il comprendre ?
Nous pouvons à cet instant logiquement en déduire que quelque chose a sucré le rhum à un moment donné ; et puisque cela n’a pas été « ajouté » au rhum, c’est qu’il était là « avant » ?
Le sucre comme argumentaire de vente
Le taux de sucre est ici utilisé comme argumentaire commercial et marketing, une première. Nous connaissons déjà Plantation et son directeur Alexandre Gabriel, ou encore Fabio Rossi de Rum Nation qui publiquement (et souvent mis dos au mûr par des évidences chiffrées) ne cachent plus les nombreux ajouts dans leurs rhums (quelques fois très importants), mais qui ne l’indiquent étrangement jamais ni sur leurs sites internet, ni bien sûr sur les étiquettes de leurs nombreux rhums.
Ces compagnies s’adaptent tout simplement à leur clientèle, et surtout à leur niveau de connaissance : on cache l’ajout de sucre d’un côté, et de l’autre on cherche à le justifier auprès des amateurs les plus éclairés et regardants, pour ne pas dire informés…et ça marche. Il est en de même pour d’autres marques ou producteurs justifiant ces ajouts sous couvert de recette traditionnelle et ancienne, qui ne le sont pas toujours mais dont l’argumentaire est rassurant. Dans tous les cas, cela permet habilement d’éviter le vrai débat, à savoir celui de l’ajout de sucre et de la directive européenne qui ne permet pas l’aromatisation.
La réelle incidence d’un ex-fût
Interrogé sur l’origine de la fameuse « concentration en sucre », les commerciaux prétendent que cela provient naturellement de « l’affinage en fût de Sauternes » ; une réponse très répandue dans la profession lorsqu’il s’agit de justifier la présence de sucre dans un rhum.
Soyons clair, un fût ayant précédemment contenu du vin ou du vin muté (de toute sorte) ne peut pas pas délivrer autant de sucre dans le produit fini, à moins qu’il y reste de ce vin à l’intérieur (en plus ou moins grande quantité).
C’est tout simplement techniquement impossible. Des mesures réalisées sur des Whisky vieillis dans d’anciens fûts de vins (de toutes sortes et surtout des plus sucrés) comme de rhums, montrent moins d’1 gramme de sucre par Litre sur le produit fini (jusqu’à 2g/L et plus pour des fûts de xérès PX qui contiennent jusque 300g/L de sucre dans un fût de 225 litres). Pour citer un exemple concret, un rhum vieilli 6 années dans un ancien fût de Porto (Foursquare pour ne pas le citer) a été mesuré à moins de 1g/L.
Rappelons que légalement, un ancien fût déjà utilisé pour le vieillissement d’un autre alcool/vin doit être vidé de son ancien contenu avant de resservir et d’être rempli à nouveau. Cela peut paraitre bête à rappeler mais c’est essentiel ; voilà pour la règle qui s’applique au whisky comme au rhum, qui rappelons-le aussi ne doit pas être aromatisé ; et si le fût n’est pas vidé, alors nous pouvons affirmer que cela reviendrait à aromatiser le rhum.
Ainsi, le maximum toléré est de 2g/L, ce qui correspond à environ 5 litres de vins que l’on estime « emprisonnés » dans les barriques des vins les plus sucrés et qui délivrent des traces de sucre voire de glycérine minimes en provenance du bois.
NOTE: il peut être aussi décidé d’injecter du vin (qui peut être hautement concentré) sous haute pression après chauffage de la barrique. De cette façon, le fût est techniquement vide, mais le bois est totalement imprégné de vin (Cette pratique est connue sous le nom de ‘seasoning’). Mais n’est ce pas là le début de l’aromatisation? Cela permettra ainsi d’ajouter du vin hyper concentré au fût sans en ajouter au spiritueux…
Mise en situation :
Imaginons qu’un producteur décide d’utiliser un ancien fût de vin très sucré pour faire vieillir son rhum, et qu’il y reste emprisonné l’équivalent de ces 5 litres de vins (sucré à raison de 100 grammes de sucre par Litre). Cela donne alors 500 grammes de sucres dans un fût de 225 litres.
Du rhum est ensuite ajouté dans le fût, ce qui donne à peu près 2,2g/L de sucre sans dilution.
Nous aurons ensuite une évaporation plus ou moins importance apportée par le temps de vieillissement, ainsi que de l’eau pour la réduction ; on arrive donc à un maximum (dans le pire des cas) de 2 g/L de sucre dans le produit fini. Nous avons donc au final une mesure de 2 grammes de sucre par litre pour un rhum qui aura vieilli dans un ancien fût de vin très sucré dans lequel il sera resté l’équivalent de 5 litres de vin.
Question: pour avoir 20 grammes dans un rhum, combien faudrait-il ajouter de vin dans un fût de 225 litres ?
Réponse: 40 litres. Et nous venons de voir que 40 litres de vin ne peuvent en aucun cas être naturellement présents (et emprisonnés) dans d’anciens fûts, mais + ou – 5 litres. Il est donc impossible d’avoir au final une concentration de 20g/L de sucre qui soit à l’origine d’un fût vide ayant contenu un vin, même le plus sucré (à moins peut-être de pratiquer le ‘seasonning’, mais quid de l’aromatisation ?).
Pour prendre l’exemple du Sauternes, il est fait mention sur certains documents d’une teneur en sucre de 221g/L. Donc au final, le rhum devrait avoir une concentration naturelle en sucre à hauteur de 3 à 4g/L.
L’affinage magique
Comme nous avons vu, l’utilisation d’un ex-fût de vin muté (et donc vide) ne peut généralement pas délivrer 20gr de sucre. Et puisque dans ce cas précis Pernod Ricard nous confirme qu’il n’y a eu aucun « ajout de sucres » dans son rhum, il faudrait en déduire que la concentration en sucre provient d’une étape réalisée en amont, et donc avant que le fût ne soit rempli avec le rhum, et donc directement lié au fût et à son contenu, sa matière.
Une pratique répandue
Il faut ici rappeler que cette pratique est très loin d’être récente, et que la majorité des rhums sucrés aujourd’hui le sont via ce biais, à savoir par l’ajout d’alcool d’origine vinique (dans le cas de finish, finishing, vieillissement dans d’anciens fûts de vins;..). Il est néanmoins encore assez contraignant de retrouver ces traces via des tests en laboratoire avec exactitude, mais rassurez-vous les choses évoluent, et nous serons bientôt en mesure d’affirmer et de quantifier un ajout plus ou moins important de vin dans le rhum comme source du sucre.
Ainsi, certains producteurs profiteraient sciemment d’utiliser des anciens fûts de vins (porto, sauternes, mais aussi cognac, whisky, etc..) pour en laisser quelques litres au fond. A partir de là, beaucoup jouent sur les mots en affirmant ne pas ajouter de sucre et pour cause : tout serait déjà au fond des fûts reçus et utilisés… dans lesquels c’est le rhum qui aurait été ajouté, se mélangeant aux sucres du vin. On joue ainsi sur les mots pour cacher une vérité dérangeante, mais que Pernod Ricard semble nous dévoiler indirectement via ses supports de communication. Et nous les remercions pour leur franchise.
Maintenant, reprenons un passage du même dossier de présentation, qui pourra, selon la lecture, être perçu différemment :
« (…) notre Maestro Ronero cubain a sélectionné nos rhums âgés les plus prestigieux et achevé leur vieillissement dans des fûts de Sauternes français. L’alliance des saveurs de la canne et du raisin crée alors un rhum d’une richesse et d’une profondeur inédite ». Il est intéressant de noter que la fiche de dégustation officielle ne fait pas directement référence à du raisin directement, que ce soit au nez ou en bouche.
To be continued…
Maintenant pensez à tous ces finish « très prononcés » que nous voyons sortir de partout et que nous avons déjà tous goûtés un jour ou l’autre, qu’il s’agisse d’ailleurs de rhums de mélasse ou de pur jus. L’utilisation de fûts de Porto, de Sauternes, de Whisky ou d’autres alcools est-elle proposée dans le but de transformer un rhum, de le modifier? ou de le mettre en valeur, de le sublimer ? Et combien de ces producteurs laissent sciemment du vin ou de l’alcool dans les fûts avant d’y ajouter du rhum ?
Dans un récent rapport, la répression des fraudes parle de plusieurs cas d’aromatisation de rhums. Plus inquiétant encore: sur 10 rhums analysés, 6 ne sont pas conformes (dont 4 en raison de leur aromatisation) ; parmi eux, 3 sont des rhums importés, 3 sont originaires des DOM (avec des cas avérés d’ajout de vanilline). Dans le lot, 2 rhums ont été déclarés non conformes en raison d’ajout d’alcool d’origine vinique dans le produit fini (rhum importé et rhum français).
Le rapport ne rassurera sans doute pas totalement, mais montre l’implication de nos services dans la lutte contre les fraudes, qui confirment que « la pratique consistant à faire vieillir des eaux-de-vie ayant contenu des vins sucrés semble se répandre ».
thanks to: